« Il existe aussi une intelligence de la main… »

« … et elle n’a pas de complexes à avoir parce qu’elle communique avec le cœur. Et nous avons besoin de l’intelligence de la main ! »

Jeudi 04 mars 2004, c’est ce qu’ont pu entendre ( et voir) les téléspectateurs, non pas en direct d’épiscopat TV mais dans tous les créneaux infos. Le prédicateur en question ? Raffarin. Raffarin « ripostant » face à la pétition « contre la guerre à l’intelligence »( lancée par les Inrockuptibles) dont le but est de dénoncer les attaques massives du gouvernement contre la culture, la santé, l’enseignement….
En pleine période électorale, le sujet était plus qu’épineux et l’alerte à la débâcle des Régionales pour l’UMP conseillait plutôt le profil bas. Mais devant le nombre croissant de signatures, garder le silence aurait été crime de lâcheté chez les parangons de « l’autorité républicaine ». Seulement, sans justifications qui tiennent la route comment procéder ?
La réponse écrite ( publiée sur le site www.dialogue-initiative.com ) autorisait comme réponse un délire ultra-libéral ( « le refus des réformes est aussi un refus de la mondialisation qui illustre une nouvelle idéologie, celle de la fermeture et du déclin… » ) qui caricature encore le contestataire en dangereux nihiliste réactionnaire et valorise les bons petits transformant l’entreprise France en une multinationale à forte compétitivité ajoutée :
« La création […]est devenue le moteur de notre société. Créer une entreprise, une association – avec les coupes budgétaires dont est victime ce dernier secteur on ne retiendra que la première proposition – conduire des projets permettent aussi de faire vivre notre société. – dans la logique économique actuelle nous dirons plutôt une faible partie patronat / actionnaires au détriment des classes ouvrières et moyennes.
Un tel discours à la TV ? Impensable juste avant les élections . Trop blessant pour la« France d’en bas » dont Raffarin s’est proclamé l’ardent défenseur. A bout de souffle notre premier ministre ? C’était sans compter sur les prouesses des conseillers en communication.

Et la performance fut. La défense du premier ministre fut d’inverser le sens, la logique afin de passer d’accusé à victime. Et de faire des plaignants des « intellectuels » ( du cerveau) insensibles, incapables de mettre la main sur le cœur pour participer au secours de leur indigent pays. L’offensive arrogante avait laissé place au pathos. Car il fallait entendre ce ton condescendant et paternaliste, voir ces mines apitoyées , ces épaules sur-courbées sous le poids des malheurs de la France et ces mains pleines de circonvolutions mielleuses rêvant caresser derrière l’écran l’auditoire bêlant et attentif.
Coup de « show » politique à grands renforts de caméras pour détourner l’oreille attentive. Cynisme de la communication politique qui méprise l’auditoire au point de le croire encore dupe. N’est-ce pas là en effet le cynisme incarné que cet homme qui, d’un côté, légitime depuis deux ans les programmes de démolition sociale, et, de l’autre, assure représenter la Générosité en s’octroyant « l’intelligence de la main..[…]qui communique avec le cœur ».
On notera au passage la « beauté» de la formule que Raffarin devait juger suffisamment efficace pour dissimuler le sophisme de son raisonnement. C’est que sieur Raffarin aime user du beau parler et dans son ardeur en oublie ses auditeurs, au point de les croire incapables de relever un paradoxe et de se poser cette question : à quels cœurs s’adressait le chef du gouvernement ?
Il est vrai qu’en matière de philanthropie le premier ministre s’y connaît. Cependant après deux ans de « gouvernance », tous les citoyens auront compris que cette charité ne s’ordonne que pour une certaine élite de la nation.

L’intelligence de cette main bienveillante, soucieuse de remédier à la « fracture sociale » - dixit Chirac label 1995 - , s’est en effet d’abord illustrée par l’augmentation de 70% du salaire des ministres (certes cela remplace les fameuses « valises noires », mais d’après un article du Canard Enchaîné cette hausse serait largement supérieure au montant du salaire officieux ),
Puis ce fut au tour de la misérable France de bénéficier de ses largesses en la délestant du poids de 215000 chômeurs (privés de leurs droits par la nouvelle convention Unedic, et ce n’est que la première vague), mais aussi des intermittents et bientôt des personnes précaires (RMA, aides au logement revues à la baisse par les nouveaux décrets), sans compter une partie des services publics dont les budgets sont diminués (la recherche, l’éducation nationale, la Santé avec la contre-réforme de la Sécurité Sociale et le programme « Hôpital 2007 » ), et pour certains privatisés ( France Telecom, Air France, EDF/GDF, démantèlement de la poste).
Et dans la foulée, sa geste généreuse a offert de multiples avantages au patronat via les amis du MEDEF, ainsi le RMA qui permettra une embauche à moindre coût pour l’entreprise ce qui pourrait mettre en danger la légitimité du SMIC, ou encore l’ allègement de plusieurs charges, l’aménagement sur l’impôt sur la fortune, l’impunité des licenciements injustifiés, le projet d’un contrat de travail à longue durée déterminée qui précarisera davantage l’emploi.

Beaucoup d’entre-nous ont du être heureux d’apprendre qu’un poing généreusement allongé dans la gueule était signe d’intelligence. Et pendant ce temps sur tous les écrans la rengaine sécuritaire qui nous triture la tête…. Il faudrait songer à proposer à Charles Villeneuve ( monsieur « documentaires » sur TF1) des themas sur l’insécurité et la violence subie par les salariés. Mais il lui tarde de recevoir la légion d’honneur, cela vaut bien quelques concessions avec le régime en place.

On voit donc combien la réalité dépasse le proverbe « On ne prête qu’aux riches », « donner » serait plus juste. « On ne donne qu’aux riches ».
Le peuple, lui , se contentera de pain et de jeux. Amuser l’esprit, lui donner l’illusion de, afin qu’il oublie son bien triste sort est une pratique antique qui a fait ses preuves à travers l’Histoire. Et pour le divertissement quel meilleur instrument que la télévision ? C’est au moins ce qu’aura compris ce gouvernement pour amuser ses « sujets » et surtout amollir leur conscience. Bon, je vous l’accorde, « divertissement » est un peu trop léger, parce que nos politiques et leurs partisans de la TV ont du s‘adapter à l’air du temps funeste. Les Français craignent pour leur emploi, leur avenir ? Qu’à cela ne tienne, on va détourner leur peur à coup de bandes de sauvageons filmées en action, la plupart du temps pas trop floutés pour qu’on puisse distinguer leurs origines…, ou de surenchères d’images de victimes. On va leur apprendre la trouille « d’en bas », histoire de fermer la gueule du français moyen qui a bien de la chance de ne pas être à la porte de la société et qui a tout intérêt de se protéger de la racaille sociale plutôt que de s’en préoccuper. Hélas ! Dans leur fabuleuse mise en scène est apparue Lepen au deuxième tour des présidentielles 2002 , plébiscité par 17% d’électeurs aux mains tremblantes, paranotélévisés de TF1 et consoeurs.
En dignes serviteurs de la République, la TV ne pouvait pas se laisser accuser de collaborationnisme avec le FN. Alors on eût droit à une éminente séance lavandière, la grande famille des journalistes s’était réunie pour laver son linge sale qu’elle mit sécher rapidement après les conventionnels chapelets de mea culpa.
Car, qu’a-t-il résulté de cet acte de pénitence ? Rien. Que ce soit les lignes éditoriales des informations ou les thèmes des reportages et émissions des chaînes les plus populaires, tout est globalement centré sur la dangerosité du quotidien qui ferait passer Fear Factor pour l’Ile aux enfants…( le 11 avril dernier France 2 est allée jusqu’à diffuser une émission intitulée : « La science au service de la sécurité pour tous », avec des reportages sur les limousines blindées ou encore sur les systèmes de surveillance à Monaco il est vrai que la notion d’ égalité contenue dans le « pour tous » était respectée). En témoigne aussi l’ « insécurité », colonne vertébrale du spectacle intégré mis à la mode par l’ex-ministre de l’intérieur et qui, dans l’avant, le pendant et l’après débâcle des régionales est intervenu intempestivement sur toile de fond sécuritaire. La plus mémorable fut sans doute sur TF1 à l’occasion d’un spectacle de cirque, ( les jeux du cirque ?) où l’ex ministre de l’intérieur était somptueusement intronisé en tant que grand chef de la sécurité par un Monsieur Loyal braillant dans son micro : « Il est celui qui a fait baisser l’insécurité, celui que tout le monde attendait », et à la foule d’acclamer son Sauveur.

Ce principe de la « prise du pouvoir » par l’image, comme je le précisais plus haut, est usuel en politique, mais là où il y a innovation, dans l’Histoire de la démocratie, c’est l’acharnement avec lequel ce gouvernement tente d’imposer une image qui ne lui correspond pas.
On voit en effet avec quelle virtuosité ces ministres orchestrent leurs discours mensongers.
Finalement, sous des formes différentes ( paternaliste pour Raffarin, autoritaire pour Sarkozy), le fond de leurs allocutions reste identique : en premier lieu se prévaloir d’être les garants d’un état social en présentant leurs contre-réformes comme des réformes(il y a quelques jours Raffarin a même osé affirmer lors de sa conférence sur « l’égalité des chances » avoir « placé la cohésion sociale […]au sein des priorités de ce gouvernement. ») puis dévaloriser et culpabiliser tout acte de résistance. Et pour qui tout ça ? Ernest Antoine Seillière et son cortège de patrons, pour qui les raffarinades et bientôt les sarkozades (n’oublions pas les déclarations ravies de monsieur Medef à propos du nouveau gouvernement, qualifiant Sarkozy de « Zidane aux finances ») font office de cure de jouvence, et aux actionnaires des entreprises du CAC 40, qui, malgré la crise, n’ont jamais autant reçu de dividendes grâce aux restructurations et licenciements massifs ( merci Jean-Pierre Gaillard de nous parler tous les jours de la bourse !).
On ne peut donc pas reprocher à la main de monsieur Raffarin son absence d’« entendement » puisqu’elle semble bien pourvue de logique (précariser davantage les plus défavorisés pour protéger les privilégiés), mais l’honnêteté républicaine dont il s’est si souvent vanté, et qui aurait pour mérite, selon lui, de sauver ce gouvernement, devrait par ailleurs préciser l’identité de ses allocutaires, parce qu’il y a des quiproquos qui peuvent parfois conduire au drame….
Mais ni Chirac, ni son gouvernement ne semblent avoir conscience du chaos social qui résultera de leur programme politique.

Le loupé total de l’UMP aux dernières élections n’est-il pas d’ailleurs le signe que l’acte I de la grande tragédie chiraquienne est déjà bien entamé ? Reste à espérer qu’à l’instar de pitié & de terreur ce gouvernement provoque un profond réveil citoyen, surtout à l’aube de la constitutionnalisation de l’Europe ( à ce sujet Blair a annoncé un projet de référendum pour la future Constitution) dont on vous touchera un mot la prochaine fois.

MISS BASTAGA
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