En cette dernière
semaine de janvier il était temps de vous présenter nos
vœux. Vous connaissez la chanson, leitmotiv de bonheur, de santé…
on ne va donc pas s’étaler mais – expression chère
au nord- le cœur y est.
Quoique, par associations d’idées para(no)-médiacales
(#1), j’ai pensé d’abord que santé=bilan de…
( merci télé pour mes premiers pas vers l’intégration
physique positive : demain j’arrête de fumer avec Ophélie),
puis, volutes interdites aidant, que Santé=ministère de…,
ministère=gouvernement, gouvernement=Etat, Etat républicain
et démocratique=bilan annuel objectif de sa politique gouvernementale.
Pourtant les différents ministères n’ont pas fait
de gorges chaudes de leurs bilans respectifs. Mis à part les sempiternels
vœux de Chirac et du premier ministre (ce dernier moins « communication/
management », on sent que le patron s’éloigne de sa
main d’œuvre, la gestuelle moins punchy, , il lui manquait
les poings brandis et on y croyait à son international economical
system), les comptes-rendus se sont faits discrets. Et pour cause. Presque
deux ans après leur accession au pouvoir, Chirac et son gouvernement
sont bien loin du grand slogan rassembleur de l’UMP que fut «
la France d’en bas ». Dans cet élan d’humanisme,
certains auraient pu penser que Chirac, soucieux de restaurer le contact
entre les milieux politiques et les citoyens à « basse valeur
ajoutée », aurait tenté de mener une politique teintée
de social. Mais le cynisme ambiant fait qu’il n’est même
plus soucieux de préserver les apparences de l’équilibre.
Ce qui peut-être aussi une opportunité à saisir pour
les mouvements de contestation dans l’année à venir.
La tâche semble cependant ardue vu la fidélité particulière
qu’affecte notre gouvernement pour les milieux d’affaires
et le MEDEF ( sa base sociale fondamentale) dont l’objectif principal
, le rendement maximal, ne peut souffrir la moindre contrariété.
Or, l’entrave principale étant les actions de grève
organisées par les syndicats, il faut maintenant tenter de les
« criminaliser », d’où le traitement médiatique
douteux des contestations collectives. On a pu ainsi constater des dérives
sémantiques comme celles qui ont qualifié les manifestants
de « terroristes » opérant des « prises d’otages
»,ou, plus récemment, après les micro-grèves
des secteurs hospitaliers et ferroviaires publics, Seillière se
plaindre de la « permissivité » de l’Etat (français
? ) autorisant des « barbares » à bloquer l’économie.
Pas pour longtemps Ernest, après les embrassades fusionnelles que
t’offrit Raffarin à l’Assemblée générale
annuelle du MEDEF et la réforme de l’impôt de solidarité
sur la fortune (« pour favoriser l’emploi »), une nouvelle
législation des droits syndicaux sera du gâteau ( il y a
d’ailleurs déjà des cas de jugements pour appel à
la grève illégal).
Et pendant ce temps ils occupent « la France d’en bas »
avec les miettes en multipliant les petits cadeaux de démagogie
sécuritaire dilués dans les médias. La surmédiatisation
d’un Sarkozy montrant au « petit peuple » qu’il
s’occupe des vrais problèmes, à savoir ceux de l’insécurité,
contribue à une évolution générale des mentalités.
Le Français moyen est en train d’apprendre à avoir
peur, à se sentir menacé au quotidien aussi bien au niveau
civil qu’au niveau économique. Cela ne lui était pas
arrivé depuis la dernière guerre mondiale. Deux peurs coexistaient
alors : celle de l’occupation concrète ( Allemagne nazie)
pour les résistants, celle d’une occupation fantasmatique
(les Juifs) pour le collaborateur. Actuellement, l’axiologie va
vers la même fantasmagorie et l’on voit apparaître les
prémisses du retour de l’idéologie raciste.
Mais attention, il s’agit de faire du racisme convenu, pas du bas
de gamme populo si cher à Lepen, le choc du 21 avril 2002 fut un
avertissement pour l’avenir de l’UMP, il s’agit de ratisser
les idées du FN et les retoucher pour en faire un produit acceptable.
Politiquement correct aurait-on dit il y a quelques années. Le
retour de l’Histoire, l’étranger à nouveau responsable
d’un dysfonctionnement de la société. Mais attention
là aussi pas n’importe quel étranger ; à l’exemple
de l’antisémitisme l’exclusion prend d’abord
source dans l’appartenance religieuse. Cette tendance a été
facilitée par les attentats du 11 septembre qui, depuis les Etats-Unis
ont généré une paranoïa « musulmanophobique
» ( je préfère ce néologisme à celui
d’islamophobie, terme qui fait plutôt référence
à la notion d’islamisme alors que le racisme évoqué
touche toute la diversité des pratiquants musulmans), surtout attachée
à l’origine arabe. On a donc ici une jonction religion-race
servant de bouc-émissaire. Mais le concept de race, trop lourd
à gérer dans nos sociétés dites démocratiques,
a été gommé au profit de religion. Dans nos sociétés
de « l’image » il faut trouver un ennemi bien repérable
et le port du voile en est le meilleur instrument.
Ceci dit ce fait de société est un problème quant
à la condition de la femme parce qu’il la cadre dans un rapport
de soumission surtout aux hommes, seuls responsables de l’interprétation
des textes fondateurs dans toute religion, où la femme est reléguée
au corps - à ce sujet l’expression de Yasmina.Rezza «
pubis capillaire » montre bien une perception distordue de la femme
sous l’angle unique du sexuel_ . En France, l’institutionnalisation
de la « morale laïque », l’autre enjeu de ce débat
national, par la Constitution de 1946 ( processus amorcé depuis
la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat)
a permis fort heureusement la fin de l’influence religieuse sur
les mœurs et la société dans son ensemble. Par la consécration
de l’enseignement gratuit et laïque et la privatisation de
la religion ( « dans le respect de toutes les croyances »
dit la Constitution de la 5° République-1958), notre nouveau
système politique a facilité surtout un nouveau statut et
de nouveaux rapports sociaux pour les femmes, en inscrivant clairement
la notion d’égalité des sexes( par la suite les lois
sur le droit à la contraception, au divorce, à l’avortement,
l’ont aidée à entrer dans la sphère publique
et à ne pas être qu’une mère). Ces droits, difficilement
acquis, sont d’autant plus à défendre qu’ils
sont en danger sous le poids de la religion ou non. Au niveau social par
exemple, à statut égal une femme a un salaire inférieur
à l’homme ( sauf fonction publique). Quant à l’évolution
globale des mentalités, on peut douter de son amélioration
au vu de l’image réductrice des femmes que la pub véhicule
( alors que l’on sait que les marques sont devenues des repères
et des valeurs ) ou du succès que remportent les émissions
de télé réalité de type « Bachelor »
auprès des jeunes ( souvent au zapping, on peut y entendre des
commentaires ajoutés par la production, la plus récente
à propos d’une candidate :Fanny est compliquée, Fanny
ne sait pas ce qu’elle fait. Normal, Fanny est une fille »).
La raison ( si liée à la république) voudrait que
l’on résolve un problème de fond par l’analyse
de ses causes et donc que l’on intègre le problème
du foulard islamique dans un débat plus large concernant les femmes
en général. Mais la raison d’Etat préfère
se préoccuper de simples descriptions d’une situation extrême,
très bien relayée en cela par l’information qui oriente
plus facilement les préoccupations du « peuple ».
Le matraquage télévisuel des divers événements
liés au port du voile illustre bien cette tendance. Malicieusement
orchestré par Sarkozy ? C’est ce qu’on pourrait supposer
quand on s’interroge sur le point de départ de la polémique.
Ainsi, le 19 avril 2003, le ministre de l’intérieur relance,
sur le ton de la provocation la question du foulard islamique au rassemblement
annuel de l’UOIF (#2). Provocation parce qu’il évoque
la réglementation des photos d’identité pour marteler
que le port du voile est formellement interdit alors que la question n’a
aucune raison d’être abordée puisque aucun cas de litige
administratif n’est répertorié récemment (
le dernier cas date de 2000). A partir de ce moment on assista à
une valse incessante d’informations stéréotypées
( avec une pause « canicule »).
Le point d’orgue fut évidemment la manifestation organisée
à Paris et quelques grandes villes ( dont Lille), filmées
à grands renforts de plans plutôt resserrés que d’ensemble
( pour donner l’impression de densité), il ne manquait plus
que des contre-plongées et nous étions en pleine série
z paranoïaque.
Certes, cela méritait l’attention des journalistes mais face
à cette saturation le spectateur lambda a-t-il eu droit à
un contrepoint ? A-t-on vu des témoignages de filles, femmes musulmanes
émancipées qui, croyantes ou non, ont fait leur le principe
de laïcité ?
Des femmes (et des hommes) fortement engagées aussi dans le tissu
social, qui ont un combat à raconter . Au lieu de cela nous n’avons
eu droit qu’à un regard univoque donnant l’impression
caricaturale que toutes les femmes musulmanes revendiquaient ce «
droit à la soumission ».
Du côté de « l’anti-désinformation »
aucun média ( mis à part la presse satirique) n’a
soulevé les impairs de notre gouvernement en matière de
laïcité. Pourtant il y avait de quoi gloser. Que l’on
repense au voyage officiel de Bernadette Chirac et Raffarin au Vatican
pour y rencontrer le pape –voyage de 3 jours financés à
hauteur de 100 000 euros, messe papale sur-filmée avec B. Chirac
superstar- , ou à la loi sur la reconnaissance légale du
fœtus ( non abrogée suite au tollé de l’opposition
et quelques hommes de droite), ou, allons encore plus loin, à la
non application du dispositif juridique laïque en Alsace-Lorraine,
la République laïque n’a pas de quoi pavoiser.
La République en danger ?
C’est ce que titrait au même moment un quotidien national.
Oui le système républicain et démocratique est en
danger mais certainement pas pour le « phénomène du
foulard islamique ». Il est en danger avant tout parce que l’une
de ses exigences premières, l’égalité, dont
la justice sociale fait partie, ne fait plus partie de ses enjeux politiques.
Les diverses réformes mises en œuvre récemment vont
achever l’étiolement du social et instituer une nouvelle
ère de « république ». L’Etat-Providence
( garant d’une couverture sociale) laisse place à l’Etat
de type régalien puisqu’il va tendre de plus en plus à
ne s’occuper que de la défense (police, armée). Un
système étatique dont le meilleur exemple est les USA. Mais
la politique sécuritaire du gouvernement ( qui bénéficie
d’une hausse conséquente de ses budgets alors que les autres
services publics ont subi de graves amputations) se doit d’être
légitimée. Et, pour assurer ce glissement sans trop de remous,
quoi de plus simple que de laisser s’insinuer dans la société
un sentiment de peur. Une leçon d’angoisse bien apprise par
les médias ( surtout télévisuels).. La télé
nous apprend à avoir la trouille au quotidien mais elle apporte
aussi son réconfort par la diffusion d’images rassurantes
quant à l’ordre public souverainement assuré par Sarkozy.
Par ailleurs le sentiment de crainte collective permet de justifier le
grignotage de la Liberté, autre grand symbole de la République,
en (essayant) d’instaurer l’acceptation d’un climat
de surveillance généralisé. Que ce soit les contrôles
d’identité ( trop souvent orientés vers le «
basané ») ou autoroutiers tous coïncident dans l’outrance.
Face à la placidité de la population ces premiers mesures
furent l’aubaine à saisir pour franchir une seconde étape.
C’est en effet dans ce contexte de frénésie sécuritaire
que sont apparus deux projets plus graves puisque liés à
la pratique de délation qui rappelle la France totalitaire de Vichy.
Le premier ( finalement abandonné) appelé « bus citoyen
» devait équiper les autobus puis les taxis d’une caméra
directement liée au commissariat le plus proche afin de dénoncer
les « incivilités routières » . Le second (
en suspens pour l’instant), désigné « relais
citoyen », nous vient de l’initiative du bien nommé
Maréchal ancien commissaire douaisien. Son projet consiste à
créer des sortes de micro-commissariats au sein des quartiers,
tout ceci entre les mains d’habitants volontaires et bénévoles
( forte rentabilité donc pour l’Etat et les collectivités
locales). Sous couvert d’une politique de « prévention
» plutôt que de « répression » ces relais
auraient pour but de « remettre sur pied la cohésion sociale
». Mais d’après la situation actuelle il est fort probable
que ces « zones de solidarité civique » se transforment
rapidement en zones d’ « appellation d’origine contrôlée
» par une xénophobie ambiante. Et je doute de l’intérêt
général devant les probables dérapages…
Triste constat donc que cette république branlante, qui, au lieu
d’honorer ses principes premiers, s’applique à faire
accepter comme vraies les thèses sur les limites des politiques
d’égalisation et par la même occasion la misère.
Une république paradoxale, assaillie par les vieux démons
du fascisme et le repli national, alors que s’installe en même
temps une société de « haute technologie » basée
sur la communication internationale et sur la facilité technique
des contacts (il faut avouer que leur utilisation est surtout d’ordre
économique). Paradoxes que nos « penseurs » devraient
révéler à l’ensemble de la conscience populaire,
c’est à dire de façon démocratique…..
afin de les avertir d’une possible mutation de l’Homme social
en « homo economicus ».
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